Au cours des cinq ou six dernières semaines, j’ai été dans un tourbillon de débats : Université d’été du GESQ les 23 et 24 mai dernier et production d’un cahier spécial du Devoir sur l’agriculture et le développement durable paru la veille; présentation d’un mémoire à la Commission parlementaire sur le projet de loi 27 en économie sociale, le 28 mai, dernière journée d’audience de la dite commission ; participation à un comité de sélection de projets au Fonds d’action québécois pour le développement durable (FAQDD) dans le cadre de son concours d’iDDées 2013 lancé en avril dernier sans compter une invitation qui m’avait été transmise par le comité conjoint AQOCI-MRI lequel doit déposer un document d’orientation sur le scénario d’une coopération internationale québécoise désormais pilotée par une Agence québécoise de solidarité internationale (AQSI). Tout cela m’a conduit, à travers observations, débats, échanges et questions de tout ordre à quelques considérations sur la question écologique (où en somme-nous rendus?), sur l’économie sociale (quelles suites pour l’ÉS après l’adoption d’une loi ?) et sur la solidarité internationale du Québec (quel avenir en temps difficiles ?).
À propos d’urgence écologique et d’économie sociale
L’urgence écologique est aujourd’hui une interpellation centrale pour tous les mouvements sociaux qui se sont longtemps focalisés sur la question sociale sans voir qu’elle était désormais adossée à la question écologique. On pourrait en dire autant des entreprises collectives –coopératives, associatives et mutualistes – (oublions un moment l’économie capitaliste de marché) : elles ont longtemps été focalisées sur la question socioéconomique sans voir que celle-ci était adossée à la question écologique. Soit dit en passant, cette dernière va beaucoup plus loin que de se donner un volet de développement durable à vocation éducative, ce que la plupart des organisations se contentent de faire.
Cela signifie en effet d’opérer une véritable «révolution culturelle» d’entreprise, «révolution culturelle» aussi nommée transition écologique de l’économie. À vrai dire, les avancées de ce côté-là sont encore bien timides. Il y a certes Nutrinor qui planifie littéralement la réorganisation de son système de transport des produits de la terre en abandonnant progressivement le camionnage pour un retour au train et son retrait de l’utilisation du pétrole alimentant ses bâtiments au bénéfice de la biomasse forestière. Il y a certes des coopératives forestières qui planifient tendanciellement leur travail en direction de la reforestation. Plein de choses sont à faire. Je donne un exemple de ce nouvel horizon de l’ÉS: en Estrie il y a 20 000 kilomètres de rives (ruisseaux, rivières, lacs). L’enjeu : ces ruisseaux, ces rivières, ces lacs sont aux prises avec du phosphore, des algues bleues et des algues vertes. Une pollution qui frôle la catastrophe pour les écosystèmes. La réponse est connue : il faut planter des arbustes le long de ces rives. Sur 20 000 kilomètres en ne misant pas uniquement sur de simples gestes citoyens encouragés par leur municipalité leur offrant gratuitement des arbres. Ce défi gigantesque – le partenariat que cela implique et la volonté politique que cela induit – est aussi la voie toute tracée pour le plongeon des coopératives forestières et autres initiatives dans une économie d’avenir tout à la fois écologique et solidaire. Parlez-en à la MRC de Brome-Missiquoi qui a commencé à faire cette opération.
Tout çà pour dire que si certaines initiatives d’économie sociale, dans les années 1990, ont été mis en oeuvre dans les services de proximité (petite enfance ou services à domicile, etc.) en se voyant confier une mission de service public par l’État, aujourd’hui, il faut prioritairement trouver des réponses à la crise énergétique, climatique, alimentaire qui est couve sous la crise économique et sociale. Comment développer des alternatives économiques viables dans ce registre? À mon avis, concrètement, c’est le mouvement coopératif qui est au coeur des solutions possibles. Et il faut avoir en tête de grandes entreprises agricoles porteuses comme Nutrinor (400 employés, 1200 producteurs membres), expérience pilote de développement durable de la Coop fédérée. Il faut avoir en tête le grand virage écologique des 40 coopératives forestières (la biomasse de 2e génération) de même que le déploiement à grande échelle de coopératives d’énergies renouvelables (éolien, solaire, géothermique), ce qui est loin d’être gagné. Sans compter, bien sûr, le grand projet coopératif de transport collectif (monorail électrique Montréal-Québec et les principales villes régionales). Mon plus récent livre (co-écrit avec l’économiste Mario Hébert alors à Fondaction) traite de ce thème : dans le prolongement direct d’un autre ouvrage issu d’une importante conférence internationale tenue à Lévis en 2010.
Projet de loi 27 : à propos de la notion d’«entrepreneuriat» en économie sociale
Il y a une première chose intéressante dans ce projet de loi 27 : il parle d’«entrepreneuriat». Ce qui clarifie l’horizon : chacune des organisations présentant un mémoire a dû s’adresser aux pouvoirs publics en parlant d’entreprises et donc de viabilité économique. La carte de visite est et a été l’économie. La Première ministre avait déjà parlé de la «pleine reconnaissance de ce secteur important de notre économie». Et le projet 27, s’il devient loi, obligera les ministères à adopter des politiques qui «guideront les entreprises oeuvrant dans ce secteur». Les organisations de représentation de l’ÉS ne sentent pas qu’elles sont forcées d’aller dans ce sens : elles parlent toutes d’entreprises. Mais il y a aussi celles qui ne veulent pas être des entreprises en s’appuyant sur une politique publique déjà existante, celle de l’action communautaire produite en 2001 laquelle avait tranché la question de la place du «communautaire». À chacun son destin : il y a ceux qui font de l’«action communautaire». Et il y a les autres, ceux qui développent des coopératives ou des entreprises dites d’économie sociale. Le plus important regroupement d’action communautaire – la Coalition des tables régionales d’organismes communautaires (CTROC) – ne s’est pas gêné pour l’affirmer clairement et à la bonne hauteur dans son mémoire : «Nous ne sommes pas des entreprises d’économie sociale». Pourquoi ? Parce que dit-elle «la principale distinction entre l’économie sociale et l’action communautaire est la vocation économique, impliquant la vente de biens ou services, qui est l’apanage de la première. Les organismes communautaires ont quant à eux une finalité sociale et sont principalement financés par des subventions leur permettant de réaliser leur mission, tel que reconnue dans la Politique de reconnaissance de l’action communautaire».
Bref, on assiste à une convergence, par la négative comme par la positive, à l’effet que toutes les organisations ou presque s’entendent pour dire qu’elles sont des entreprises ou qu’elles n’en sont pas. L’argument de l’«inclusion» (inclure toutes les organisations communautaires), mot-massue qui coupe sec la discussion, ne tient plus la route. «Rien n’est rapetissé. Cela confirme plutôt une place précise à ce type d’économie». De plus, de nombreux mémoires convergent pour utiliser deux expressions: «entrepreneuriat collectif» ou «entrepreneuriat coopératif, associatif ou mutualiste» comme le fait le mémoire de la Caisse d’économie solidaire Desjardins et la plupart des textes européens que je connais notamment la très représentative revue française d’ÉS, la RECMA. Bref l’ÉS en France comme au Québec sont de plus en plus sur la même longueur d’onde. Lorsqu’on parle d’ÉS, ce sont des coopératives, des mutuelles et des associations à vocation économique (grandes, moyennes ou petites) dont nous parlons. Le chapitre de l’«économie solidaire» à la française, c’est une autre histoire.
À propos de l’Agence québécoise de solidarité internationale (AQSI)
Je vous disais la semaine dernière que la future AQSI pourrait être l’opérateur d’un fonds dédié au soutien d’entreprises coopératives, associatives et mutualistes dans les pays du Sud, un fonds bâti à l’image de notre expérience de fonds syndicaux (Fondaction et Fonds de solidarité) ou coopératifs (Capital coopératif et régional Desjardins). Je vous disais aussi que le grand Soir de la coopération internationale québécoise rapatriant le $800 millions du «Fédéral» n’est peut-être pas pour demain mais que des choses relativement inédites pouvaient être entreprises dès maintenant. C’est très probablement une des directions que le comité AQOCI/MRI prendra dans son rapport au gouvernement promis pour décembre prochain : la chose est acquise ou presque au sein du comité pour ce qi a trait à la mise sur pied d’une AQSI. La proposition de créer un dispositif permettant d’avoir un outil financier québécois pour des PME au Sud a pour sa part été fort bien accueillie. Ce faisant la Table de concertation de l’ÉS découlant de l’adoption de la loi 27 sera certainement saisie de ce projet de fonds dédié au Sud dans le cadre de son plan d’action qui a comme échéance le mois d’avril 2014. Évidemment, par ces temps d’incertitude politique….Mais c’est une autre question. Je vous souhaite donc un bel été pour mijoter tout çà !
[...] Économie sociale, écologie et solidarité internationale : des croisements inédits émergent. Par Louis Favreau ⋅ juin 19, … et sur la solidarité internationale du Québec (quel avenir en temps difficiles ? [...]