Dans un billet précédent j’ai évoqué ce thème d’une finance solidaire québécoise dédié à des projets au Sud. Je signalais que depuis plus de 40 ans, les OCI du Québec agissent principalement à partir du dispositif des dons en provenance du public et des gouvernements (l’ACDI surtout, le MRI un peu). Mais ce soutien, notamment pour financer des infrastructures économiques locales dans le Sud comme cela se présente de plus en plus, commande d’être accompagné d’une pratique de prêts et de garanties de prêts. L’avenir d’une solidarité internationale présentement dans tous ses états repose/reposera, dans la prochaine décennie, sur cette association complémentaire du don et du prêt et sur une plus grande autonomie de financement des OCI. Y a-t-il des expériences qui vont dans ce sens ailleurs? Peut-on aller au delà de quelques «best practices» associatives ou coopératives et changer d’échelle d’intervention ? Une proposition a émergé à la faveur des débats entourant le projet de loi 27 en économie sociale au ministère du développement régional, le MAMROT, et à la faveur de la création d’un comité conjoint AQOCI-MRI au ministère des relations internationales. C’est l’hypothèse d’un fonds dédié aux PME collectives dans le Sud. Dans le cadre de nos recherches des 10 dernières années à la CRDC, nous sommes tombés sur l’expérience française de la SIDI, Solidarité internationale pour le développement et l’investissement. Nous avons mené enquête à ce sujet. L’intérêt à court terme d’une telle politique de prêts et de garanties de prêts: le comité conjoint AQOCI-MRI chargé de fournir un document d’orientation au gouvernement d’ici la fin de l’année a retenu l’idée et m’a demandé de leur soumettre un texte à ce propos. En voici les grandes lignes.
Le fonds envisagé ici est un fonds ayant une mission de solidarité internationale du Québec à l’égard des communautés au Sud. Un fonds viable économiquement au même titre que les fonds de travailleurs le sont et s’inspirant directement de leur pratique. Ce projet aurait donc une préoccupation de levier complémentaire aux autres actions de coopération internationale soutenues présentement par les OCI. Un fonds pérenne dans sa capacité d’investissements socialement utiles parce qu’économiquement viable.
Prêt ou don? Un faux dilemme
La coopération Nord-Sud du Québec, celle du gouvernement comme celle des OCI et autres acteurs, à quelques exceptions près, n’a pas de politique de prêts à l’égard de leurs partenaires du Sud. Tout passe par le don et la prestation de services sans contrepartie. Depuis plus de 40 ans, les OCI du Québec et le MRI à sa suite agissent principalement à partir du dispositif des dons en provenance du public et des financements publics des États. Ce n’est pas un défaut. Mais cette coopération internationale de proximité a atteint ses limites : d’une part le financement public est moins au rendez-vous et d’autre part, la demande de partenaires du Sud pour financer des infrastructures économiques locales ne reçoit pas de réponse de notre part.
Cela suppose que le Québec (l’État québécois, les OCI, les mouvements, les municipalités, etc.), pour y répondre, élabore une politique de prêts et de garanties de prêts s’appuyant sur des pratiques avérées à ce chapitre. Aider à créer de la richesse dans le Sud, par le soutien à des entreprises coopératives, mutualistes et associatives n’est pas incompatible avec un travail de soutien à des mouvements sociaux luttant pour une justice sociale et écologique. La tendance de bon nombre de mouvements sociaux de la dernière décennie a été d’investir eux-mêmes la sphère économique. Généralement, dans les pays du Sud, la plupart des organisations paysannes font exemple à ce chapitre. D’autre part et peut-être surtout, l’expérience de nombreuses OCI dans le Sud témoigne d’une injustice à laquelle nous pouvons répondre : celle de communautés avec lesquelles les OCI travaillent qui sont privées de services de crédit pour leur développement. Or la condition socioéconomique de la majorité de ces populations se caractérise par le manque de patrimoine, le manque de revenus fixes et le manque de relations pour obtenir du crédit.
Le droit au crédit pour de petits entrepreneurs est une nouvelle dignité
L’idée principale est donc de mobiliser de l’épargne d’ici pour aider à constituer un tissu économique productif indispensable à l’empowerment économique et social des communautés là où les banques ne vont pas et ainsi donner accès au crédit et à l’investissement à ceux qui n’y ont pas accès. En Afrique de l’Ouest par exemple, les États et leur secteur public sont tellement affaiblis que ce sont les mouvements eux-mêmes qui initient l’électrification de leurs villages par le solaire. À plus grande échelle, au Brésil, le mouvement paysan et le mouvement syndical soutiennent le développement, dans le premier cas, de caisses rurales et, dans le deuxième cas, de coopératives de travail.
L’expérience française de la SIDI : l’initiative économique n’appartient pas aux riches
L’OCI française Terre solidaire avec la SIDI pratique le prêt et la garantie de prêt à de petites et moyennes entreprises au Sud depuis 30 ans. Née en 1983 Solidarité internationale pour le développement et l’investissement est une société financière qui octroie des prêts et des garanties de prêts pour accompagner des projets de développement local. Son financement provient du placement à rendement social de ses membres. Au 1er janvier 2011, le fonds géré par la SIDI atteignait un encours de $60 millions d’euros apportés par près de 6 000 souscripteurs. «Cela facilite ainsi l’accès au crédit des acteurs de l’économie populaire» dit-on à Terre solidaire. Pour avoir une idée très concrète de la chose, visionnez cette courte vidéo de 5 minutes d’une expérience de prêt rotatif au sein d’une organisation paysanne sénégalaise.
S’inspirant de telles expériences, on peut aller plus loin et en faire un projet global de type inédit dans notre coopération au développement avec des communautés du Sud. Il s’agirait d’un fonds d’investissement à partir de trois sources de revenus qui pourraient être convoquées :
1) Des fonds publics incluant des déductions d’impôts et une subvention de départ du gouvernement du Québec ;
2) Des épargnants et/ou investisseurs souscripteurs, gens motivés par la coopération Nord-Sud, qui consentent à placer une partie de leurs épargnes en faisant, comme pour les placements dans des fonds de travailleurs, d’une pierre deux coups : a) en retirer des avantages financiers pour leur retraite ; b) diriger cette épargne en direction de la solidarité internationale (comme l’épargne des Fonds de travailleurs est dirigée vers le développement des régions du Québec) ;
3) Le placement de sommes d’argent en tant qu’investisseurs en provenance d’organisations syndicales, de coopératives, d’organismes de solidarité internationale, d’associations professionnelles, de communautés religieuses…
Ces expériences ne viennent pas de la planète Mars. La SIDI avait injecté fin 2011 $1 million d’euros auprès d’organisations de paysans et de PME de transformation et de commercialisation de produits dans le Sud. L’expérience de DID va dans la même direction en soutenant les institutions locales de microfinance en Afrique de l’Ouest et ailleurs. L’expérience de la Caisse d’économie solidaire Desjardins avec les caisses rurales au Brésil (CRESOL) ou celles de SOCODEVI et d’UPA DI vont dans le même sens.
La SIDI en huit questions
1. Qu’est-ce que la SIDI?
Un outil financier de solidarité internationale, un «investisseur solidaire» offrant des services financiers adaptés aux petits entrepreneurs et agriculteurs de pays du Sud.
2. Pourquoi Terre solidaire, une OCI française, a-t-elle mis sur pied un tel dispositif?
Pour prolonger et diversifier son action dans le domaine économique en répondant aux besoins de financement des exclus des circuits bancaires, faute de garanties et de ressources propres.
3. Quels sont les partenaires de la SIDI dans le Sud?
Les partenaires de la SIDI sont des organisations locales diverses : associations, ONG, coopératives d’épargne et de crédit, institutions de microfinance, organisations de producteurs agricoles…
4. Quelles sont les ressources financières de la SIDI? D’où proviennent-elles?
a) Elles proviennent de son capital ($ 13 millions d’euros) détenus par Terre solidaire; b) des revenus d’un Fonds commun de placement de souscripteurs géré par le Crédit coopératif (cousine française de la Caisse d’économie solidaire Desjardins au Québec) pour $23 millions d’euros; c) d’actionnaires divers (organisations et institutions).
5. Que fait la SIDI dans le Sud avec ces ressources financières?
a) Elle fait de l’accompagnement technique (appui-conseil; appui à la gestion, mise en réseau…); b) elle fait du financement : de participations au capital, des prêts, des garanties de prêts et de la recherche de ressources complémentaires auprès d’institutions internationales.
6. Comment çà fonctionne?
C’est une chaîne de solidarité à cinq maillons : a) des citoyens solidaires du Nord (épargnants et investisseurs); b) des partenaires du Nord (Terre solidaire en tête); c) une démarche d’épargne et d’investissement en France entre la SIDI et le Crédit coopératif; d) des mécanismes de crédit des partenaires dans les communautés au Sud disposant de structures locales de financement (ONG, associations, coopératives…); e) des micro-entrepreneurs qui en sont les bénéficiaires.
7) Quels sont les résultats d’un tel dispositif?
La SIDI a développé depuis 30 ans des partenariats avec 85 institutions et organisations d’accompagnement de petites entreprises dans plus de 30 pays d’Afrique, d’Amérique latine et d’Asie. Montants des prêts: entre 50 et 5000 euros. Taux de remboursement : 96%.
8. Avons-nous des exemples?
Au Sénégal, des paysans ont pu obtenir des prêts de l’ordre de 1000 euros $ auprès de la Caisse rurale de leur organisation, l’UGPM. Ces prêts leur ont permis de se mettre à temps plein pour cultiver leur terre.
Au Pérou, une famille (père, mère; deux fils et leurs épouses) cultive huit hectares de café biologique grâce à un prêt pour sa mise en marché fait à la coopérative dont elle est membre. Le café de cette famille et de bien d’autres est aujourd’hui commercialisé.
Pour en savoir plus on va sur mon blogue.
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