«Durant la majeure partie des trois dernières décennies, ce sont les individus très riches qui ont accumulé une part disproportionnée de la richesse. Il faut renverser cette tendance.» — Premier budget Obama
Au mois de mai 2009, la Confédération des syndicats nationaux (CSN) proposait ses orientations pour sortir de la crise économique. Son document qui se trouve dans son site rappelle les racines de la crise actuelle. Cette dernière «révèle des déséquilibres profonds dont la gravité est amplifiée par la conjonction d’une série de crises : financière, alimentaire, énergétique et environnementale ». Elle traduit un modèle en crise. La centrale syndicale explique que la crise « résulte d’une forte croissance économique basée sur l’extension d’un modèle de consommation et de production fondamentalement insoutenable. Dans ce modèle de développement, toute intervention de l’État est, au mieux, inutile ou, au pire, nuisible parce qu’elle favorise certains groupes d’inté¬rêts au détriment de l’ensemble. Inspirant nos gouvernements, la déréglementation, la privatisation, la flexibilité du marché du travail, le contrôle obsessif des déficits et de la dette publique, le libre-échange et la libéralisation financière sont devenus les voies à suivre ». La crise est donc globale.
Autre phénomène dommageable, le fossé entre les riches et les pauvres s’élargi dans la plupart des pays au cours des dernières décennies. Cette inéquitée des revenus «s’est réalisée à travers une série de mécanismes dont l’action a été plus ou moins forte selon les pays : réforme du marché du travail (plafonnement du salaire minimum, emploi atypique, recul du syndicalisme), affaiblissement de la protection sociale (assurance emploi), concurrence entre les territoires, les salarié-es et les pays pour l’obtention des investissements, etc. » En conséquence explique la CSN, «on estime maintenant qu’au Canada la rémunération moyenne des patrons des grandes sociétés est de 240 fois la rémunération moyenne des travailleuses et des travailleurs. Les salaires, pour leur part, ont stagné au cours des 25 dernières années et le recours au crédit, à l’endettement est devenu le principal stimulant de la croissance. Il y a une limite à une telle stratégie et la crise immobilière américaine y a mis fin brutalement. Les crises sont inhérentes à la logique financière : la recherche du profit le plus élevé provoque, éventuellement, une phase d’engouement et d’emballement où l’activité devient frénétique jusqu’à ce que la bulle éclate.»
Les propositions de la CSN sont présentées en 5 blocs.
Pour un plan d’investissement social
La CSN revendique l’amélioration immédiate du régime d’assurance emploi.
La CSN revendique la mise en place immédiate d’un programme de soutien du revenu pour les travailleuses et les travailleurs âgés.
La CSN revendique l’augmentation des budgets alloués au logement social.
La CSN revendique l’augmentation des transferts fédéraux pour les secteurs de la santé, de l’éducation postsecondaire et l’aide sociale en fonction des besoins du Québec.
La CSN revendique le développement des services publics, car ceux-ci contribuent à la fois à l’emploi et au mieux-être de la population.
Elle revendique l’engagement des gouver¬nements à ne pas accroître la tarification pendant la récession, à ne pas privatiser les services publics et, notamment, à renoncer au PPP comme mode de financement et de développement des infrastructures publiques.
Pour un marché du travail tourné vers l’avenir
La CSN revendique que toutes les ressources né¬cessaires soient allouées par le gouvernement du Québec pour permettre à un maximum de salarié-es de bénéficier de la formation professionnelle pendant le ralentissement ou pour éviter des mises à pied.
Elle revendique que toutes les ressources néces¬saires soient allouées par le gouvernement fédéral pour permettre la mise en place de programmes de travail partagé, y compris par l’amélioration des prestations versées dans le cadre de ces ententes.
La CSN revendique une modernisation des lois du travail et des régimes de protection sociale pour que toute la main-d’oeuvre puisse bénéficier des mêmes droits.
La CSN revendique des modifications au Code du travail pour faciliter l’accès à la syndicalisation.
La CSN revendique une modernisation des lois du travail sur les licenciements collectifs pour obtenir une plus grande transparence, une plus grande sécurité économique et le droit des salarié-es et des communautés concernées d’agir sur leur avenir.
La CSN revendique le retrait du budget fédéral des éléments qui plafonnent les augmentations salariales dans la fonction publique fédérale, y compris celles pour lesquelles il s’est déjà engagé, ainsi que les mesures qui ont pour objectif de restreindre l’accès des femmes à l’équité salariale.
La CSN revendique la mise en place rapide par le gouvernement du Québec d’un comité chargé de réexaminer notre système de retraite, comité auquel doivent être associés les syndicats.
Pour contribuer à la relance et contrer la paralysie financière
Unune action des gouvernements en vue d’engager rapidement des efforts budgétaires supplémentaires en cas d’accroissement du chômage ;
L’adoption des mesures fiscales et budgétaires qui ont le plus d’impact sur l’activité économique. En ce sens, les baisses d’impôt généralisées constituent une approche inefficace ;
Le financement par le gouvernement fédéral de mesures musclées de soutien aux secteurs en difficulté : forêt, mines, etc. Les mesures de soutien au secteur manufacturier demeurent tout à fait insuffisantes ;
Une approche multilatérale du commerce qui favorise à travers les négociations commerciales le respect des droits humains, des droits fondamentaux au travail et, en particulier, la liberté syndicale et la diminution de notre empreinte écologique ;
Le rétablissement des subventions fédérales à la culture. Les coupes dans ce secteur constituent en soi un non-sens ; cette approche est aussi particulièrement préjudiciable au Québec ;
L’accroissement des efforts des gouver¬nements pour soutenir la recherche, le développement et l’innovation, en particulier dans les technologies qui permettront une plus grande efficacité énergétique et une réduction des gaz à effet de serre. Que des fonds précis soient alloués pour les secteurs d’activité fortement ancrés au Québec ;
Des investissements qui contribuent à une relance plus « verte », à changer les pratiques de transport et de consommation d’énergie (infrastructures, transports collectifs urbain et interurbain, programmes d’efficacité énergétique, etc.) ainsi qu’à réduire l’utilisation des ressources et à accroître le recyclage ;
Un accroissement des interventions de la Banque du Canada pour assurer le maintien des liquidités nécessaires et le fonc¬tionnement de l’économie financière.
Pour réglementer le capitalisme financier
La CSN revendique des mécanismes de réglementation pour tous les nouveaux acteurs, les nouveaux produits et les pratiques de la nouvelle économie financière (fonds spéculatifs (hedge funds), fonds d’investis¬sement privés, utilisation des paradis fiscaux, produits financiers dont le risque ne peut être évalué, etc.).
Elle revendique l’adoption de mesures fiscales dis¬suasives contre les pratiques d’acquisition d’entreprise par endettement.
Elle revendique l’examen de solutions de rechange pour mettre fin au quasi-monopole des grandes agences de notation.
La CSN recommande à tous les syndicats et à tous les gestionnaires de caisses de retraite de réévaluer toutes les activités de placement qui échappent à la supervision prudentielle, qui contribuent ou s’apparentent à de la spéculation, en particulier sur les produits alimentaires.
Elle recommande que soit adoptée une politique sur la gestion active des risques sociaux, environnementaux et reliés à la gouvernance d’entreprise (incluant les politiques de rémunération des dirigeants) pour toutes les caisses de retraite, de façon à favoriser l’adoption par les entreprises de meilleures pratiques à ces égards.
Agir maintenant pour un développement soutenable
Dans le but de concevoir une réponse cohérente basée sur des changements durables et structurants, la CSN, en collaboration avec ses partenaires syndicaux et des organisations de la société civile, veut ouvrir trois chantiers de travail sur :
• Un nouveau partage de la richesse et la réduction des inégalités ;
• Les conditions d’une relance « verte » ;
• Les moyens nécessaires pour soutenir une organisation économique différente de la production des biens et services, comme l’économie sociale et solidaire ou la finance socialement responsable.
Ce document est intéressant. Il comporte beaucoup de points communs avec le Manifeste de Québec solidaire dont le blogue Oikos parlait récemment au http://www.oikosblogue.com/?p=668 et le texte présenté au http://www.oikosblogue.com/?p=332. J’ai toutefois ressenti deux malaises en le lisant, un sur la forme, un sur le fond.
Sur la forme :
Je comprends que l’expression «développement durable» a été tellement galvaudée (elle est même dans le nom d’un ministère) que la CSN veuille utiliser une autre expression, mais cela ne justifie pas le recours à un anglicisme (développement soutenable : est-ce que cela veut dire qu’on peut le soutenir ?)… On peut par exemple lire à http://fr.wikipedia.org/wiki/Développement_durable :
Le développement durable (ou développement soutenable, angliscisme tiré de Sustainable development) (…)
Sur le fond :
Je trouve que le document contient des contradictions entre son analyse qui dénonce le développement trop axé sur la consommation et ses recommandations dont pas suffisamment ne portent directement sur ce thème. De même, comme on trouve trop souvent dans des documents provenant du mouvement syndical, les recommandations naviguent entre les objectifs de fond, comme le fait de favoriser une relance «verte» et l’économie sociale et solidaire, et les objectif plus corporatifs, comme les mesures de soutien aux secteurs en difficulté : forêt, mines, secteur manufacturier, etc. Ces secteurs sont en effet parmi ceux qui favorisent le moins un véritable développement durable (pour les mines, rien n’est renouvelable dans ce qui est retiré de la Terre et pour la forêt, le moins qu’on puisse dire est que la passé n’est pas garant de l’avenir…), le respect de l’environnement (mines, papier, textiles, avions, camions, plastique, etc.) et un changement dans le mode de production et de consommation (tout le secteur manufacturier).
Je suis tout à fait conscient de l’importance de ces secteurs, entre autres dans les régions ressources, et ne nie nullement la pertinence et l’urgence d’y intervenir. Cela devrait à tout le moins être accompagné de conditions de développement en respect avec l’environnement, de consultations avec les communautés (pour éviter ce qui se passe à Malartic…), de changements dans les modes d’exploitation, etc. Si la CSN ne croit pas cela possible, qu’elle ne prétende pas viser ces objectifs louables, mais sans en accepter le conséquences fort contraignantes…