En tournée de quelques régions depuis un moment, l’Abitibi-Témiscamingue et le Saguenay, pour des forums régionaux organisés par les Coopératives régionales de développement (CDR), puis Lévis pour y rencontrer des directeurs de CDR et de fédérations sectorielles qui se préparent à faire la même chose, je suis à même d’observer, les suites de la Conférence internationale qui s’était tenue l’an dernier. On prend très au sérieux la crise actuelle et l’année internationale des coopératives.
Au sein du mouvement coopératif québécois, les choses changent. D’abord le CQCM s’est mis en frais d’organiser une série de forums régionaux. L’Abitibi-Témiscamingue, le Centre du Québec et le Saguenay ont ouvert la marche ce mois-ci. De plus, la rencontre internationale du 17 octobre à Montréal, a stimulé la réflexion autour de cinq grands chantiers et de 20 propositions pour ouvrir de nouvelles formes d’action politique qui ne se limitent au traditionnel lobby plus ou moins «corporatiste». Bref, on est à la recherche d’une action politique propre au mouvement (non partisane, cela va de soi!) qui permettrait d’entrer directement dans le champ de l’intérêt général. Mieux encore la démarche à cet effet, entamée par les familles syndicale et coopérative de l’économie sociale québécoise, lors de cette journée du 17, a rebondi en France aux Rencontres du Mont-Blanc (RMB), forum international de dirigeants de l’économie sociale, lequel a repris à son compte la démarche québécoise marquant par là certaines avancées politiques que j’analysais dans ces pages il y a quelques semaines.
Des forums régionaux de type nouveau
1ier novembre, Rouyn-Noranda. Plus de cent représentants en provenance de coopératives et d’OBNL marchandes, d’agences de développement socioéconomique (CLD et SADC) ainsi que du monde municipal et universitaire de la région, sont présents pour discuter des défis actuels auxquels il faut faire face à tous les niveaux, du local à l’international, en cette période de crise. « La planète n’y arrivera pas si on ne change pas de modèle » fut une idée maîtresse que j’y ai développé en conférence d’ouverture en rappelant aux participants le diagnostic de l’économiste français Jean Gadrey à l’effet que nous assistons «à la première crise socio-écologique du capitalisme financier et boursier, la première où la raréfaction des ressources et les dégâts écologiques ont eu une influence sur le plongeon économique». Je mettais la table sur la triple crise que nous traversons (économique, sociale et écologique) mais également sur la force de proposition que les coopératives et les autres entreprises collectives peuvent/pourraient avoir pour endiguer, à tout le moins, l’économie dominante. Du coup, le travail en atelier, sur la relève d’entreprise, l’intercoopération, l’économie en circuit-court, la planification stratégique, les services de proximité dans les petites collectivités, pouvait prendre une autre dimension.
Le 16 novembre se tenait, à Victoriaville, un second forum régional : pour leur part, 75 participants ont pu échanger sur des enjeux de société du même ordre soit le développement solidaire des territoires, la démocratisation de l’économie et le renouvellement de l’État social. En ouverture, Francine Ferland, présidente de la Fédération des CDR, mettait en perspective le caractère spécifique de la crise actuelle : « Nous, les coopératives et mutuelles, ainsi que les différents mouvements de la société, aurons un rôle à jouer pour travailler à bâtir une alternative viable et constructive pour ceux qui viendront ». Un discours qu’on connaissait peu il y a quelques années au sein du mouvement, sauf chez un de ses anciens dirigeants Claude Béland.
Le 25 novembre, c ‘était au tour du Saguenay avec cette fois plus de 150 personnes. Encore conférencier à l’ouverture, j’ai bien senti que ma critique du capitalisme, ma compréhension plus internationale des enjeux et une manière différente de concevoir les coopératives. « Elles ne naissent pas seulement pour répondre à des besoins socioéconomiques, ai-je dit, mais à celui plus politique de s’organiser pour ne pas se faire avoir car si on n’est pas organisé, on se fait organiser! ». Ce qui m’a même permis dans la période de questions d’aborder la question des capitalismes parce qu’on m’interpelait sur «le système». J’ai alors répondu succinctement que le capitalisme de la Norvège, avec 55% de son PIB attribuable aux entreprises publiques, avec 16% des emplois relevant du secteur coopératif, avec un taux de syndicalisation de l’ordre de 75%, avec de fortes politiques sociales pour contrer les inégalités, est-ce comparable au capitalisme américain? Belle question que j’avais déjà abordée dans mon livre de 2008 sur les entreprises collectives (pages 129 à 149).
Le mouvement Desjardins entre en scène
Il y a plus ! À cette dynamique coopérative des régions s’ajoute celle du géant Desjardins. Le mouvement Desjardins vient en effet de se lancer résolument dans la tenue d’un Sommet international des coopératives en octobre prochain, résolument parce qu’il en a pris les moyens en faisant venir 1500 dirigeants de toute la planète. En s’alliant un partenaire de premier choix, l’alliance coopérative internationale (ACI). De plus les contenus que ce sommet est en train de faire émerger surprendront : « Les coopératives sont une alternative aux dérives du capitalisme » affiche d’entrée de jeu la pdg du mouvement, Mme Monique Leroux, à la faveur du lancement de l’Année internationale des coopératives par l’ONU à New York fin octobre.
Desjardins fait plus que des déclarations de type nouveau, il pose des gestes qu’il ne posait pas : la direction de Desjardins a délégué sa représentante à la rencontre du 17 octobre pour informer les 225 personnes présentes du dit Sommet et nous y inviter. Mieux! Desjardins a mené la même opération aux Rencontres du Mont-Blanc (RMB). Deux gestes qui ne relèvent pas de l’évidence mais qui manifestent : 1) que, dans le mouvement coopératif, on prend de plus en plus conscience de la profondeur de la crise et de sa portée internationale (le capitalisme boursier, les dégâts écologiques…); 2) qu’on découvre, que les coopératives, par leur politique d’entreprise, s’en sortent mieux comme entreprises (ce qui est vérifiable, chiffres à l’appui); 3) de façon plus offensive, que ses dirigeants croient de plus en plus que les coopératives sont partie prenante des alternatives économiques à cette crise. Sans compter un diagnostic nouveau au sein de Desjardins (comme au sein de l’ACI et des RMB) : jugeant que les coopératives sont politiquement timides, Desjardins organise un Sommet dont un des thèmes prioritaires sera celui de l’influence sociopolitique internationale du mouvement coopératif.
Dossier à suivre assurément.
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