Dans les deux textes précédents, nous avons vu, d’une part, que l’exploitation des énergies fossiles dans le golfe Saint-Laurent devrait être précédée par une véritable évaluation environnementale et que, d’autre part, cette exploitation comporte des risques majeurs. Dans cette optique, est-ce que le Québec peut véritablement se lancer dans cette aventure considérant les coûts et les avantages qu’elle comporte ?
Dans le court terme, les choix que nous devrons faire vont principalement porter sur la décision ou non de donner notre aval aux travaux d’exploration du gisement de Old Harry, situé à mi-distance entre Terre-Neuve et les Îles-de-la-Madeleine, de part et d’autre de la ligne de démarcation des eaux québécoises et terre-neuviennes fixée en 1964. Le gouvernement de Terre-Neuve s’apprête déjà à commencer ses travaux de son côté. L’Office Canada-Terre-Neuve doit amorcer une consultation publique sur le projet mais, selon les spécialistes, il serait rare que l’organisme refuse un projet de forage.
Dans notre système fédéral, les eaux du golfe sont de juridiction partagée entre Ottawa et les provinces riveraines, mais l’exploitation des ressources est de juridiction provinciale. Donc, l’exploitation des hydrocarbures dans l’Atlantique s’est faite par le biais d’entente fédérale-provinciale qui détermine diverses conditions telles que les enjeux de la péréquation (l’entente signée entre Ottawa et Terre-Neuve-et-Labrador comporte une section visant à minimiser l’effet des revenus générés par l’exploitation des hydrocarbures sur les paiements de péréquation obtenus par Terre-Neuve), ou encore l’autorité de surveillance des activités (les ententes signées entre Ottawa et la Nouvelle-Écosse ou Terre-Neuve décrivent en détail le mandat, la structure et le fonctionnement de leur Office des hydrocarbures extracôtiers respectif).
Or, comme c’est devenu la norme pour ce gouvernement, l’entente signée entre Québec et Ottawa en vue d’exploiter les hydrocarbures du golfe du Saint-Laurent comporte des lacunes importantes, nous disent les groupes écologistes concernés. On se contente de mentionner la création éventuelle d’un office « conjoint et indépendant », mais sans donner de précision. Pourtant, nous dit Christian Simard, de Nature Québec, « c’est ce genre de structures qui a causé la catastrophe du golfe du Mexique, en raison du manque de transparence, mais surtout du laxisme et de la pression de l’industrie », a souligné M. Simard. L’accord est muet sur les enjeux de la péréquation. Il ne mentionne aucune mesure particulière qui pourrait être prise pour indemniser les pêcheurs à la suite d’une marée noire, alors qu’Ottawa avait prévu un mécanisme de ce type lorsqu’il s’est entendu avec St. John’s. La ministre Nathalie Normandeau, semble-t-il, désirait le plus rapidement possible laisser l’entreprise Corridor Resources aller de l’avant avec l’exploration pétrolière sur la portion québécoise de Old Harry.
Mais nous devons nous poser la question : à quel prix sommes-nous prêts à exploiter les ressources en hydrocarbure du golfe ? Christian Simard le signale fort à propos : il faut s’assurer que les bénéfices qui pourront être tirés de l’exploitation du gisement de Old Harry ne soient pas annulés par les impacts que pourrait avoir cette activité industrielle sur le moyen et long terme. Est-ce que l’ensemble des biens et services environnementaux rendus par l’écosystème du golfe a plus de valeur que le pétrole qu’il contient ? Le golfe du Saint-Laurent est un milieu de vie très riche qui supporte des activités touristiques et de pêcheries très importantes pour l’économie des Maritimes. « Les pêches dans le secteur du Canada Atlantique, c’est plus de 1 milliard de dollars de débarquements par année, seulement pour le crabe et le homard. Près de 10 000 petites entreprises dépendent de cette industrie. Pour le Québec, la valeur des débarquements dépasse les 125 millions. »
« Comme cette véritable « mer intérieure » est six fois plus petite que le golfe du Mexique, les impacts de tout accident ou déversement sur l’industrie de la pêche et celle du tourisme seraient beaucoup plus directs », explique Christian Simard. Même le Comité sénatorial de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles concluait récemment que les mesures prises pour éviter les marées noires et celles touchant la planification des interventions en cas de déversement étaient insuffisantes.
Dans ces conditions, lors de son dernier conseil confédéral, la CSN a réclamé un moratoire immédiat et complet sur les projets d’exploration et d’exploitation des hydrocarbures en cours ou à venir à l’île d’Anticosti, dans le golfe Saint-Laurent et en Gaspésie. La CSN demande au gouvernement de procéder à une véritable consultation publique, plus particulièrement dans les régions directement concernées. La décision de la CSN vient en effet en appui aux Conseils centraux de la Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine-CSN (CCGIM-CSN), de la Côte-Nord et du bas Saint-Laurent, qui se sont mobilisés pour protéger leurs ressources naturelles, leurs territoires et leurs milieux de vie. « Nous sommes pour le développement économique, mais pas à n’importe quel prix et pas n’importe quel développement » ont déclaré les présidents des trois conseils centraux, Éric Boulay, Nancy Legendre et Guillaume Tremblay.
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