Dans un billet précédent, j’abordais cette question d’une AQDI. C’était en janvier dernier. L’idée a fait du chemin depuis. Voyons comment! Fin avril, le GESQ tenait son «université d’été» sur ce thème à Joliette dans le cadre du Rendez-vous solidaire de la Caisse d’économie solidaire Desjardins. Pas par hasard ! Plusieurs organisations membres du GESQ venaient de subir une véritable dégelée de l’ACDI. Même les organisations de plus gros calibre comme UPA-DI (les agriculteurs) ou SOCODEVI (les coopératives) ont vu leur programme au Sud coupé. L’AQOCI, organisation qui regroupe la très grande majorité des OCI au Québec, avait sonné l’alarme en février: « La solidarité internationale évolue dans des conditions de plus en plus incertaines pour la pérennité de nos organisations ».
Coopération internationale au Canada : fin d’un contrat social de plus de 40 ans
Les coupures de l’ACDI s’insèrent dans une réforme globale du rapport que le gouvernement canadien entretiendra dans l’avenir avec la société civile. La société civile n’est plus considérée comme un apport vital pour le gouvernement canadien. De ce fait les OCI, dont un grand nombre sont nées dans la ferveur de la solidarité avec le Sud des années 1970 et cumulant plusieurs décennies de travail et d’expertise avec leurs partenaires du Sud, sont maintenant des cibles de choix. Conséquence directe : toutes les organisations sont désormais inscrites dans une dynamique de docilité stratégique.
Le GESQ est favorable à ce projet d’une Agence québécoise de développement international (AQDI). Favorable mais sceptique : un des maillons faibles du financement des OCI demeure la trop grande part du financement public. Quant à leur base sociale, elle est, pour un grand nombre d’entre elles, relativement faible. D’où que le «public» soit plus ou moins bien informé, et moins enclin à donner parce qu’on doute que l’argent se rende vraiment au Sud comme le font périodiquement valoir les médias traditionnels. De plus, des ONG confessionnelles (Vision Mondiale par exemple) ont plongé dans la mêlée en dénaturant la solidarité internationale qui est en voie de redevenir un marché de la compassion et du militantisme caritatif. Dennis Gruending, auteur de Pulpit and Politics : Competing Religious Ideologies in Canadian Public Life (2011), fait état la montée de la compétition entre chrétiens progressistes et conservateurs au Canada. Cette compétition religieuse vient de rebondir dans le secteur de la coopération internationale.
Une mobilisation politique renouvelée s’impose
Au sein de l’AQOCI, l’intérêt pour se mobiliser semble à géométrie fort variable. Mais, de façon plus spécifique, dans cette mobilisation politique, sur quels partis politiques compter? Au niveau canadien, il est clair que le NPD partage l’idée d’un flagrant recul en matière de coopération. Il peut servir de bouclier mais comme le gouvernement conservateur est majoritaire depuis un an, la capacité du NPD de contrer la démarche est faible. Et une position d’affirmation nationale du Québec comme c’est le cas de l’AQDI, le mettra à coup sûr dans l’embarras. Il faut donc voir du côté de Québec : deux partis politiques sont favorables au projet comme ils l’ont laissé entendre à l’Université d’été du GESQ fin avril : Françoise David de Québec Solidaire affirme que c’est dans les cartons du parti. En effet, deux jours après la rencontre, la plate-forme électorale qu’adoptait QS les 28 et 29 avril était très explicite à cet égard : QS mettra en place une agence de solidarité internationale (Point 4c de la plate-forme).
Petit problème : est-ce d’une Agence de solidarité internationale dont il est question ou d’une Agence de développement international? Oups! Un glissement de sens est apparu. QS n’est pas le seul ni le premier à faire ce glissement : au sein de l’AQOCI les deux notions circulent sans qu’elles aient été vraiment débattues. Or généralement la solidarité internationale est la prérogative des OCI et de mouvements. Mais l’enjeu n’a pas trait uniquement aux OCI et aux mouvements mais bien à tous les acteurs d’une coopération avec le Sud: les municipalités, les maisons d’enseignement (universités et collèges), les centres de recherche, les réseaux professionnels, les entreprises sont aussi de la partie. Le $800 millions à rapatrier d’Ottawa touche tout ce beau monde. Le projet est donc encore flou au sein même de l’AQOCI. Le projet est donc encore un peu flou au sein même de l’AQOCI. Par contre, avec l’arrivée subite des élections au Québec, la position qu’elle affiche est ferme : « L’AQOCI et ses membres demandent à tous les partis politiques d’intégrer le rapatriement de l’enveloppe de l’aide internationale fédérale au Québec dans leur plateforme électorale et de majorer significativement son enveloppe au ministère des Relations internationales » (communiqué du 7 août).
Le PQ de son côté, par Pauline Marois elle-même, confirmait le 19 avril dans son allocution au Conseil des relations internationales de Montréal que l’un des trois piliers de la présence du Québec dans le monde est la coopération : « Si nous sommes portés au pouvoir, nous travaillerons avec la communauté de la coopération internationale québécoise pour jeter les fondements d’une future Agence québécoise d’aide au développement » (p.7 de son allocution).
Bref, dans ce dossier, au plan de la mobilisation politique, on voit bien que les choses sont encore en jachère. Cependant, simultanément, l’AQOCI pourrait explorer d’autres pistes.
Pistes de sortie de crise
Le projet d’une AQDI est un choix d’abord politique, celui de la pleine maîtrise de notre développement au Québec en matière de coopération internationale liée à notre affirmation nationale. Figure de proue de ce projet : Louise Beaudoin. Scénario avancé par elle : un gouvernement du Québec qui en aurait la volonté pourrait avancer $50 millions pour créer dès maintenant la dite agence et simultanément demander le rapatriement du $800 millions que le Québec injecte annuellement dans l’agence canadienne. Les membres de l’AQOCI avaient plutôt très bien accueilli le projet à l’AG spéciale de février mais sont restés sur leur quant-à-soi à leur AG de mai. Par ailleurs d’autres pistes sont à poursuivre simultanément pour ne pas retomber dans le travers de tout miser encore sur le financement public. Voici deux exemples.
Miser sur le patrimoine financier des retraités
Une première proposition serait de miser davantage sur le patrimoine financier des générations qui arrivent à la retraite. À l’initiative de personnes engagées dans la coopération internationale, des fonds de dotation ou des fondations ont été créés dans les dernières années. Par exemple, le Fonds Solidarité Sud, né en 2007, dispose déjà d’un «fonds de capital patient» d’un million de dollars. Il est inaliénable : seuls les intérêts du Fonds peuvent être utilisés pour des projets. Et la composition du Fonds est solide: des polices d’assurance vie et des legs testamentaires adossés à des dons annuels majeurs.
Un fonds québécois d’investissement solidaire avec le Sud
Cette proposition s’inspire directement de l’expérience des fonds de travailleurs. Il serait soutenu a) par des fonds publics liés à des déductions d’impôts et une subvention de départ du gouvernement; b) par l’épargne-retraite de travailleurs; c) par le placement d’argent d’organisations syndicales, coopératives, universitaires, de communautés religieuses…Faisabilité douteuse? Terre solidaire en France a créé en 1983 la SIDI. Cette société financière octroie des prêts, des garanties de prêts, et participe aux structures de financement de projets de développement de communautés dans le Sud. Début 2011, ce fonds atteignait 60 millions d’euros, apportés par 5 000 souscripteurs.
Ces pistes ne renient pas la nécessaire mobilisation politique en direction de l’ACDI et du MRI. Mais les OCI n’ont pas le choix : elles devront davantage compter sur leurs propres moyens dans la décennie qui vient. Ce n’est pas gagné! Le débat se poursuit dans le numéro de septembre de la revue Relations.
[...] et des communautés du Sud. Occasion aussi de prendre connaissance du type d’engagement que les organismes québécois de coopération internationale (OCI) ont par ces temps de crise de leur financement public. Le thème de cette année porte sur l’économie au service de [...]
[...] et les lobbys qu’ils représentent, se sont aussi attaqués aux groupes de la société civile. Comme le précisait Louis Favreau dans un billet en septembre, « les coupures de l’ACDI s’insèrent dans une réforme globale du rapport que le gouvernement [...]